Les islamistes ont pris en otage la première conférence mondiale contre le racisme de Durban. Sa réédition, prévue à Genève du 20 au 24 avril, hésite entre succomber à l’intox de groupes néoconservateurs américains, décidés à avoir la peau des Nations Unies, ou participer au cirque de quelques guignols, dont Ahmadinedjab et Khadafi, qui songent à venir faire un tour de manège.
En termes de calendrier, la première conférence mondiale contre le racisme — qui a eu lieu en Afrique du Sud du 31 août au 7 septembre 2001 — ne pouvait plus mal tomber. Nous étions quelques mois après l’arrivée de George W. Bush au pouvoir, quelques semaines après le déclenchement de la seconde intifada et quelques jours seulement avant le 11 septembre. Il flottait comme un climat empoisonné.
Dans les rues, des radicaux islamistes sud-africains, rejoints par des extrémistes venus pour la conférence, manifestaient contre « l’holocauste des palestiniens » aux cris de « Sionisme = racisme ». Au forum des ONG, l’Union des avocats arabes avait loué un stand pour y vendre les Protocoles des Sages de Sion. Le même stand exposait des dessins montrant des Juifs aux nez crochus, où l’étoile de David était systématiques associée à des Croix gammées. Sans que cela choque. Trop heureux de venir écouter le discours fleuve de Fidel Castro, certains militants se sont à peine pincés le nez entendant des slogans antisémites fuser. Les mêmes fermaient les yeux lorsque des groupes d’extrémistes venaient bousculer au caucus européen et au forum des jeunes. Deux militantes belges se sont retrouvées cernées par des dizaines de militants pro-Palestiniens venus les insulter et les traiter de « criminelles », simplement parce qu’elles étaient… juives. L’une d’elle confie n’avoir jamais fait l’objet un tel antisémitisme de toute sa vie. Elle venait de tomber sur un tract à la gloire d’Hitler (voir encadré).
Au milieu de la pagaille générale, trois drôles de rabbins posaient pour les photographes devant des pancartes anti-sionistes. Des Netouraï Karta, ces intégristes juifs opposés à l’existence de l’Etat d’Israël pour des raisons religieuses. Seul dieu — et non de satanés laïques — pouvant offrir la terre promise…. Quelques années plus tard, les mêmes viendront donner faire une conférence au théâtre de la main d’or à l’invitation de Dieudonné.
À Durban, leur chaperon s’appellait Massoud Shadjareh, un islamiste anglais qui préside la Islamic Human right commission. Une organisation intégriste connue pour mener la guerre à l’« islamophobie », définie comme une « atteinte aux droits de dieu ». En 2003, son site attaquaient Taslima Nasreen et Salman Rushdie, les désignant comme les plus grands « islamophobes ». Dans un documentaire diffusé par Channel 4, on peut apercevoir Shadjareh aux côtés d’Omar Bakri, l’un des leaders du « Londonistan », supporter officiel de Ben Laden, expulsé au lendemain des attentats de Londres. Des fréquentations qui ne l’empêchent pas de noyauter le milieu altermondialiste. Il sera très actif dans l’organisation de plusieurs tables-rondes au Forum social européen de Londres, en 2004, où Tariq Ramadan a joué les guest stars.
Quant à l’auteur du tract regrettant Hitler, il appartient à un Centre islamique sud-africain, jadis financé par Ben Laden et dirigé par un prédicateur vivement recommandé par le Centre islamique genevois de la famille Ramadan…. Le monde est décidément très petit. À moins que le noyautage de l’anti-racisme n’ait rien de tout à fait spontané, et tout d’un boulot soigneusement pensé.
L’intox sur Durban 2
À cause de ce putsch extrémiste, plusieurs ONG appellent aujourd’hui au boycott de Durban 2. La plupart sont de bonne foi et légitimement inquiètes. D’autres, proche de l’extrême droite américaine, jouent carrément la carte de la désinformation et voudraient profiter des dérives de Durban 1 pour réclamer la mort des Nations Unies (voir encadré). Au risque de raconter tout et n’importe quoi sur Durban 2.
Ce ne sera pas une grand-messe, comme en Afrique du Sud, mais une simple conférence d’examen, organisée au Conseil des droits de l’homme à Genève, sans forum des ONG. On peut s’attendre à voir débarquer quelques fidèles de la famille Ramadan, des ONG accréditées par l’Iran (plusieurs ont été croisées en train de repérer les lieux) et sans aucun doute Massoud Shadjeree et ses rabbins alibis. Un joli défilé qui promet sans doute un peut de sport dans les couloirs (toutefois surveillés par la police de l’Onu), mais rien qui ne justifie de tout mélanger. Les négociations entre les Etats et le cirque dans les couloirs.
C’est là que tout le monde s’y perd. Plusieurs ONG proches de la droite américaine confondent volontiers ce qui est arrivé au forum des ONG en 2001 avec la vraie conférence — celle qui s’est déroulée entre les états — pour discréditer l’ensemble du processus du Durban. Un peu comme si on amalgamait ce qui se dit au G20 avec les tracts circulant lors d’un contre-sommet altermondialiste. Malhonnête. Dans une conférence mondiale, le forum des ONG est un lieu très ouvert, qui accueille presque toutes les organisations accréditées. En l’occurrence, à Durban, les extrémistes, accrédités en nombre, ont pondu un texte entièrement focalisé sur Israël, décrit comme le nouveau pays de l’apartheid. Fait rare aux Nations-Unies, ce texte a été rejeté par la Conférence des Etats, chargée d’adopter la véritable plate-forme de lutte contre le racisme.
Une plate-forme bonne à 90 %
Soyons clair. Les négociations entres les Nations n’avaient rien d’une ballade de santé. Les pays de l’Organisation de la Conférence islamique, de l’Union africaine et du Mouvement des non alignés ont voulu focaliser sur les discriminations du passé, comme l’esclavage et la colonisation, ainsi que sur le Moyen-Orient, pour faire monter les enchères et détourner le regard des discriminations d’aujourd’hui, en cours dans leurs pays. Comme l’esclavage contemporain, le sort de millions d’intouchables en Inde ou celui des homosexuels — que l’on pend en Iran. À l’époque, les Etats-Unis et Israël ont claqué la porte. L’Union européenne, présidée par la Belgique, a choisit de rester. En négociant d’arrache-pied, de 9h à minuit non stop, elle est parvenue à sauver en grande partie la plate-forme. L’essentiel comporte des termes très forts protégeant les victimes de racisme, d’esclavage (y compris contemporain), de persécutions religieuses ou d’antisémitisme. L’Union européenne a même obtenu un paragraphe précisant qu’on ne doit pas oublier la Shoah. Mais en échange, elle a dû faire deux concessions majeures.
La première, c’est qu’Israël est le seul pays cité. Ce qui n’aurait rien d’un drame dans une plate-forme portant sur les conflits territoriaux, voire sur les crimes de guerres, devient absurde dans une plate forme portant sur le racisme… où aucun pays n’est cité. Pas même ceux menant des politiques de nettoyages ethniques ! En revanche, il est faux de dire que le « langage de haine » contre Israël est resté. Israël est cité lors d’un paragraphe se préoccupant du « sort des Palestiniens vivant sous occupation étrangère. » Mais le nom d’Israël apparaît pour réaffirmer le droit de tous les pays de la région, « y compris Israël », à la sécurité.
L’autre concession majeure, c’est l’introduction du mot « islamophobie » dans la plate-forme. Un terme confus qui a permis de confondre la lutte contre le racisme avec une lutte destinée à protéger l’Islam de toute critique, y compris au Conseil des droits de l’Homme. La publication des douze dessins danois sur Mahomet est clairement visée… En 2008, les pays musulmans ont fait voter une résolution interdisant la « diffamation des religions », notamment grâce au soutien de Cuba et de la Chine. Depuis, ils rêvent d’introduire ce concept dans la plate-forme contre le racisme censée faire consensus.
Cela fait quelques bonnes raisons de boycotter. Le Canada et l’Amérique d’Obama ont choisit cette option. Elle permet de mettre la pression. Mais pas de l’emporter. La politique de la chaise vide fait précisément partie des erreurs tactiques qui ont permis aux prédateurs des droits de l’Homme de tenir le haut du pavé depuis 2001. Plutôt que de boycotter, l’Union européenne a donc choisi de participer aux négociations préparatoires, jusqu’au bout, tout en fixant quelques lignes rouges à ne pas dépasser. Dont la « diffamation des religions », que tous les pays de l’Union s’accordent pour rejeter au nom de la liberté d’expression.
Sa fermeté est en train de payer. En faisant bloc, les pays européens ont obtenu un texte court, qui limite la casse. Pour l’instant, Israël n’est plus cité, la surenchère sur le passé est évitée et le concept de « diffamation des religions » a été retiré. En échange, l’Union a dû s’engager à ne pas surenchérir de son côté en introduisant de nouveaux termes, notamment contre l’homophobie.
Réchauffement climatique annoncé à Genève
Certains trouveront ce marchandage scandaleux. Ce serait pourtant ne rien comprendre à l’état des forces en présence, ni au principe des Nations Unies. En 2009, hélas, le fait d’obtenir un texte contre le racisme qui ne soit ni antisémite ni pensé pour mettre la lutte contre le racisme au service de la lutte contre le blasphème relève déjà du miracle. Si ce texte tient jusqu’au bout, c’est à dire jusqu’au 24 avril, les Nations Unies pourront se féliciter d’avoir tourné la page de Durban 1 et de l’après-11 septembre. Si les lignes rouges sont enfoncées, l’Union européenne devra quitter la conférence. Pour refuser de mettre la lutte contre le racisme au service de la lutte contre la liberté d’expression ou de l’antisémitisme. Ce sera toutefois plus facile à expliquer sur place qu’avant la conférence, alors que les négociations avançaient.
Le boycott pur et simple fait surtout le jeu des extrêmes. Qu’ils soient islamistes ou néo-conservateurs. Ensemble, ils sont bien décidés à déchirer la déclaration universelle servant miraculeusement de langue commune aux Nations unies depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Puisque tous les chefs d’Etat sont invités, Khadafi et Ahmadinejab songent à venir tenir le haut du pavé. Et donc de se prendre pour les hérauts de la lutte contre le racisme et la diffamation des religions. Amusant quand on sait le sort réservé aux minorités religieuses (notamment les bahaïs) en Iran et le racisme anti-Noirs qui court en Lybie. Si les Etats-Unis ne boycottaient pas, c’est ce que Barack Obama pourrait venir rappeler à la tribune…
Caroline Fourest et Fiammetta Venner
Encadré 1
Qui se cache derrière le tract sur Hitler ?
Nous avons retrouvé l’auteur du tract glorifiant Hitler. Il s’appelle Yusuf Deedat et milite à la Islamic Propagation Centre International de Durban. Un centre islamique qui devait s’appelait à l’origine le Centre Ben Laden. Le numéro un d’al-Quaeda étant l’un des principaux mécènes de l’association jusqu’en 2001… Le Centre est dirigé par le père de l’auteur du tract sur Hitler, Ahmed Deedat, un théologien recommandé par le Centre islamique de Genève… Le QG des Frères musulmans en exil, dirigé par Hani Ramadan, et dont Tariq Ramadan est toujours administrateur. Le monde est décidemment tout petit…
Après le 11 septembre, Ahmed Deedat a continué à soutenir Ben Laden en rappelant qu’il était un ami de la famille et un homme qui a beaucoup fait pour « purifier » l’islam sud-africain. En l’occurrence, Ben Laden a chargé la famille Deedat de convertir les Zoulous à l’islam, notamment grâce à un Coran traduit en zoulou. Yussuf Deedat continue l’oeuvre de son père. Il a dernièrement distribué des DVD incitant à la haine envers les hindous et invité les fameux Neturei Karta à une réunion contre Israël. Il diffuse aussi les textes de Tariq Ramadan.
CF et FV
Encadré 2
Un œil borgne sur l’ONU
L’une des ONG plus actives, Eye on the UN, est clairement une émanation des réseaux néo-conservateurs américains. Notamment de l’Hudson Institute, l’un des principaux think tank des néo-conservateurs, où ont siègè Francis Fukuyama, Richard Perle et Donald Rumsfeld. L’organisation s’est lancée dans une véritable croisade contre les Nations-Unies depuis la guerre en Irak. Leur rêve, les supprimer et les remplacer par un club de démocraties. Tout est bon pour tenter de discréditer le multilatéralisme et revenir à un monde où les rapports de force seraient gérés uniquement de façon bilatérale, c’est-à-dire si possible grâce à l’hégémonie américaine. Alors que l’administration d’Obama ne cache pas son inquiétude quant au processus de Durban, l’ONG lui vomit dessus en prédisant qu’il finira par céder puisqu’il aime se coucher « devant tout ce qui n’est pas américain ».
CF et FV