En Afrique du sud, alors que les Zimbabwéens se font attaquer et raccompagner à la frontière, les produits chinois entrent sans payer de taxes et les Chinois d’Afrique du sud vont bénéficier de la discrimination positive pensée pour aider les victimes de l’apartheid…
Mr Wong était policier en Chine. Un métier dont on démissionne rarement. Aujourd’hui, comme plusieurs de ces compatriotes, il vend des sushis dans le Mpumalanga, l’une des régions les plus orientales d’Afrique du Sud, à deux heures de Johannesburg. Comme d’autres compatriotes, il importe tout ce qu’il veut sans acquitter de taxes et peut, s’il le désire, accéder à la nationalité sud-africaine plus facilement qu’un Mozambiquain, qu’un Zimbabwéen ou qu’un Anglais.
Les petites facitilités offertes aux Chinois en Afrique du Sud commencent à faire grincer des dents. Y compris au sein de certains milieux d’affaires blancs préoccupés par la protection de l’environnement et par la situation au Zimbabwe. Navires débordant d’armes pour Mugabe, commerce illégal d’espèces en voie de disparition, les affaires impliquant la Chine se multiplient. La dernière en date a suscité la réprobation de la plupart des associations de juristes et de droits de l’Homme.
Le 18 juin 2008, le tribunal de Pretoria rendait un jugement historique. Les Chinois sont désormais considérés comme des citoyens Noirs. Plus précisement, ils peuvent bénéficier du Black Economic Empowerment, une sorte de « discrimination positive » interdisant d’employer un Blanc si un Noir peut faire le même travail. L’argument invoqué est que les Chinois étaient considérés comme métis pendant l’apartheid et donc soumis aux mêmes discriminations que les Noirs. Il serait audible si cette mesure était reservée aux seuls victimes de l’apartheid. Mais tout le monde sait bien que ce jugement vise surtout à faciliter l’embauche des migrants chinois au détriment des Noirs sud-africains, dans un pays ou une personne sur deux ne trouve pas de travail. Ce qui présage de belles heures de coexistence pacifique quand on connait le sort réservé aux migrants Zimbabwéens, que certains Sud-africains noirs accusent de voler leur travail… L’autre revers de cette décision pourrait être la suppression déguisée du Black Empowerment, dont un nombre grandissant de Sud-africains voudraient se débarrasser.
Le jugement de Prétoria n’est une étape de plus dans la coopération cordiale existant entre la Chine et l’Afrique du Sud, qui se serrent les coudes au Conseil de Sécurité de l’ONU pour empêcher toute résolution obligeant Mugabe, le dictateur zimbabwéen, à respecter le choix de son peuple. De son côté, l’Afrique du Sud s’est engagée a considérer Taiwan comme faisant partie intégrante de la Chine.
Il faut dire que depuis le 6 février 2007, Thabo Mbéki et le président chinois Hu ont signé un « accord de coopération politique, économique et commercial ». Au terme de cet accord, les marchandises des deux pays sont exonérées de taxes à l’importation. L’accord pourrait paraître équitable. Sauf que les marchandises sud-africaines sont destinées à l’Etat chinois (matières premières, produits miniers…), tandis que les produits chinois envahissant le marché sud-africain sont des produits manifacturés destinés à la population et concurrencent les productions locales. Dans les villes sud-africaines, les « chinashop » font petit à petit leur apparition dans chaque zone commerciale.
Autre point non négligeable de cet accord, les deux parties vont « activement promouvoir un image positive sur les relations cordiales existant entre la Chine et l’Afrique et travailler pour dissiper tout reportage et opinion négative à cet égard. » En d’autres termes, il est strictement interdit aux organes de presse dépendant du pouvoir (les chaines de télévisions et quelques journaux) de dire du mal du gouvernement chinois. La situation des tibétains ou des ouighours, mais aussi le trafic des espéces en voie de disparition, sont des sujets tabous.
Enfin, dernier point fondamental d’accord entre les deux pays : le sida. Ni la Chine ni l’Afrique ne sont décidés à le considérer comme une pandémie. La Chine reste dans le déni. Tandis qu’en Afrique du sud — où 7 million des 47 million d’habitant sont atteints par le virus — la ministre de la Santé s’évertue à vouloir soigner les malades à base de vitamines C, d’huile d’olive et de citron. Un remède homéopathique qui réussit aussi bien au sida qu’aux dictateurs : les deux auront bon pied bon œil dans la « Chinafrique »1 en train de se dessiner.
Caroline Fourest et Fiammetta Venner
1 – Lire La Chinafrique, de Michel Beuret et Serge Michel, Ed. Grasset.