Le gouvernement encourage les écoles privées catholiques à s’implanter en banlieue

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C’est une nouvelle qui pourrait bien rallumer la guerre scolaire. Le gouvernement déshabille l’école publique pour mieux aider l’école privée catholique à « évangéliser » les banlieues.Sitôt révélé par le site Mediapart, le projet d’un fonds spécifique destiné à encourager l’implantation de lycées privés catholiques dans les quartiers populaires a mis les laïques et les enseignants sur le pied de guerre.

Le projet fait tache alors que lycéens et professeurs se mobilisent contre la suppression à venir de plus de 11 000 postes d’enseignant dans le public, notamment dans les ZEP. D’autant qu’en principe l’aide publique attribuée aux écoles privées ne peut augmenter si celle accordée à l’école publique augmente, selon la règle coutumière des 80/20 (80 % au public et 20 % au privé).

Il est pourtant dans les cartons depuis le plan « Espoir banlieues », qui prévoit d’« encourager la contribution de l’enseignement privé à l’égalité des chances ». Et comme 80 à 90 % de l’enseignement privé est catholique, suivez mon regard… Le gouvernement voudrait voir « cinquante nouvelles classes » de ce type en banlieue. C’est officiel, l’« espoir en banlieue » s’appelle donc « espérance » et sera porté par le religieux. C’est confirmé, Nicolas Sarkozy préfère le curé à l’instituteur. Et puis, il en est persuadé : l’enseignement privé catholique civilisera « les racailles ». Emmanuelle Mignon, son cerveau catholique, l’un des auteurs du discours de Latran et des propos malheureux sur le « non-problème » des sectes, n’y est pas étrangère. Dès 2006, lors d’une convention de l’UMP, elle plaidait pour que les « familles de banlieue puissent bénéficier du savoir-faire des établissements catholiques et d’un vrai choix entre école privée et école publique ».

Le gouvernement semble persuadé que la guerre scolaire est bien enterrée. « Nous sommes décomplexés », aurait dit Xavier Darcos, ministre de l’Éducation nationale, au nouveau patron de l’enseignement catholique, Éric de Labarre, venu réclamer qu’on lui « facilite la tâche ».

Le Vatican décomplexé

Les écoles privées catholiques cartonnent et rêvent de grandeur. L’an dernier, elles ont dû refuser 35 000 dossiers. La faute à l’« accommodement raisonnable » de Debré, qui a mis le ver dans le fruit en autorisant le financement des écoles privées sur fonds publics. En 1960, 11 millions de Français signaient une pétition contre. Ils avaient vu juste. Les écoles privées ont largement tiré profit de ce système leur permettant d’avoir le beurre et l’argent du beurre : des frais de scolarité élevés, un droit à la sélection et, en prime, le soutien de l’État. Ces aides permettraient un droit de regard, mais on pourrait très bien imposer ce droit de regard sans verser des fonds qui manquent cruellement au public. Surtout depuis l’objectif de 80 % d’une classe d’âge au bac. Contrairement au privé, le public ne peut pas se permettre d’être trop sélectif. Si en prime on le prive de moyens, si on en diminue le nombre d’enseignants au lieu de diminuer le nombre d’élèves par classe, on empêche mathématiquement le maintien d’un certain niveau.

On condamne donc l’école publique à perdre toute attractivité au regard du privé. D’autant que les écoles privées catholiques sous contrat se gardent bien d’afficher trop ostensiblement leurs convictions religieuses. Du moins, jusqu’ici. Avec Benoît XVI, le Vatican aussi se décomplexe. Certains archevêques, comme celui d’Avignon, appellent depuis un moment les établissements privés catholiques à renoncer à la tolérance postmoderne pour retrouver le chemin d’une vraie éducation catholique. Les banlieusards vont déguster… Mais pas seulement eux. À terme, les écoles confessionnelles sélectives — principalement catholiques, mais aussi musulmanes — auront supplanté le public. Le lien social, la citoyenneté et, bien sûr, la laïcité en sortiront en lambeaux. Le gouvernement se trompe : la bataille pour l’enseignement public, qui est aussi celle pour le respect de la loi de 1905, peut reprendre à tout moment.

Caroline Fourest et Fiammetta Venner

Article paru dans Charlie Hebdo 16 avril 2008